La présidence de la Conférence des évêques de France en Terre Sainte

Dans un contexte international instable et préoccupant, la nouvelle présidence de la Conférence des évêques de France se rendra en Terre Sainte du 16 au 20 août. Ce premier déplacement marque le début du mandat du Cardinal Aveline, avec pour mission de témoigner de la solidarité de l’Église de France envers les communautés chrétiennes locales. Ainsi, en venant à la rencontre des peuples, elle souhaite œuvrer en artisans de paix, dans cette région touchée par la guerre. Inès Muller – Cité du Vatican

La présidence de la Conférence des évêques de France a annoncé se rendre en Terre Sainte du 16 au 20 août. Au lendemain de la fête de l’Assomption, les évêques français souhaitent «manifester le soutien de notre Eglise, non seulement aux communautés chrétiennes mais aussi à tous les amis de la paix». Ce déplacement intervient dans une période extrêmement douloureuse et incertaine marquée par la tragédie humanitaire à Gaza et par l’attente de la libération des otages israéliens

Le premier geste du mandat de la nouvelle présidence de la Conférence

Rassemblés lors de leur dernière assemblée plénière à Lourdes, les évêques de France ont élu le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, à la présidence de la Conférence des évêques de France (CEF). Elu pour un mandat de trois ans, le nouveau président a pris ses fonctions le 1er juillet dernier. Pour marquer le début de cette nouvelle mandature «nous avons souhaité que le premier geste du mandat, soit d’aller rendre visite à l’Eglise qui vit à Jérusalem et dans toute la région», a-t-il annoncé. La CEF déclare souhaiter intensifier ses efforts en Terre Sainte, «afin d’assurer aux peuples de cette terre, spécialement les plus pauvres, le soutien matériel et spirituel dont ils ont besoin», en précisant s’adresser à tous les peuples quelles que soient leurs convictions ou leurs religions

Un message d’espérance, à l’image des prédécesseurs

Une délégation d’évêques français s’était déjà rendue en Terre Sainte en avril dernier, avec le Cardinal François Bustillo, évêque d’Ajaccio et évêque référent de la coopération internationale, conduite par l’ancien président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort. Les évêques avaient déclaré avoir «rencontré des personnes en grande souffrance, sans espoir à vue humaine», tout en ajoutant que «leur avenir en Terre Sainte est chaque jour un peu plus compromis». Leur souhait pendant ce déplacement était de manifester la présence de l’église de France afin de rencontrer des acteurs du dialogue, tout en étant les porte-voix des communautés à partir de ce qu’ils avaient vu et entendu, en encourageant les actions pour la paix et la justice. «Nous aussi, évêques de France, avons souhaité être des ambassadeurs de cette paix», avaient-ils ajouté.

Ces mots renvoient au message du Pape lors de sa première apparition le soir de son élection à la loge centrale de la basilique Saint-Pierre, souhaitant «une paix désarmée et désarmante, humble et persévérante». Successivement, Léon XIV a renouvelé ses paroles, invitant à confier cet engagement à la Vierge pour qu’elle nous aide à être « des sentinelles de miséricorde et de paix».

La présidence de la Conférence des évêques de France, pour son prochain déplacement, met en avant l’espérance: «nous confions à la prière de tous ce pèlerinage d’espérance», faisant écho au thème de cette année jubilaire.

Avant de quitter Jérusalem, le cardinal Jean-Marc Aveline et le patriarche latin Pierbattista Pizzaballa tiendront une conférence de presse le 19 août à la mi-journée.

Découverte rapide de Jérusalem

“Vers les espaces éternels de l’infini” : Léon XIV met la jeunesse au défi de l’aventure intérieure

« Aspirez à de grandes choses, à la sainteté, […] ne vous contentez pas de moins », a lancé le pape Léon XIV à plus d’un million de pèlerins réunis pour la grande messe de conclusion du Jubilé des jeunes, célébrée sur l’esplanade de Tor Vergata, au sud de Rome. Le pontife a donné pour horizon du bonheur la « recherche intense » du sens de la vie — cette quête de Dieu, qui attend chacun dans son cœur. Camille Dalmas – publié le 03/08/25

Les visages éreintés mais joyeux des pèlerins émergeant à l’aube sur le vaste terrain de Tor Vergata racontaient l’histoire d’une nuit brève, entrecoupée par les tam-tams festifs et un bref épisode de pluie, inattendu en ce mois d’août. Un peu avant sept heures dimanche, au son des haut-parleurs diffusant des consignes, ce magma de couvertures de survie, de tapis de sol et de sacs de couchage s’est mis — relativement — en ordre.

Puis le pape Léon XIV, qui avait quitté cette jeunesse la veille après la veillée, est arrivé en hélicoptère. Il a traversé longuement le grand campement en papamobile, réveillant l’enthousiasme de la veille, tombé entre-temps dans les bras de Morphée. Mais cette agitation soudaine s’est vite muée en un profond recueillement lors de cette messe géante, concélébrée avec 450 évêques et 7 000 prêtres.

À la fenêtre de la rencontre avec Dieu

Faisant face à la vaste plaine bariolée, le Pape a souligné, dans son homélie, la beauté de la fragilité humaine, la comparant à la réalité éphémère mais sans cesse renouvelée de l’herbe dans un champ. « Même pendant les mois froids d’hiver, quand tout semble silencieux, son énergie frémit sous terre et se prépare à exploser, au printemps, en mille couleurs », a-t-il expliqué, assurant aux jeunes qu’ils sont appelés à cette existence « qui se régénère constamment dans le don, dans l’amour ».

Alors que le soleil se faisait peu à peu sentir sur les 96 hectares de l’esplanade, le Pape a évoqué la soif pour quelque chose de plus grand ressentie par chacun dans son cœur . Mettant en garde contre les « substituts inefficaces », il a exhorté son auditoire à faire de ce désir profond un « tabouret » sur lequel prendre appui « sur la pointe des pieds » pour se pencher, comme des enfants, « à la fenêtre de la rencontre avec Dieu ». Ce dernier, a-t-il assuré, « frappe même gentiment à la vitre de notre âme ».

« Il est beau, même à vingt ans, de Lui ouvrir grandement notre cœur, de le laisser y entrer, pour ensuite nous aventurer avec Lui vers les espaces éternels de l’infini », a déclaré dans un bel élan lyrique le fils de saint Augustin. Il a rappelé la « recherche intense » entreprise dans sa jeunesse par l’évêque d’Hippone, qui, dans ses Confessions, adressait à Dieu ces paroles : « Tu étais au-dedans, et moi au-dehors, et c’est là que je te cherchais ».

Ne vous contentez pas de moins que de la sainteté

Rappelant les mots du pape François lors des JMJ de Lisbonne, son successeur a encouragé la jeunesse catholique à être « assoiffée de l’intérieur » pour répondre à la question « brûlante », celle du « véritable sens de la vie ». Le pontife a retracé le chemin parcouru par les jeunes dans Rome et ses alentours pendant cette semaine : leurs rencontres, leurs échanges, les temps consacrés à la culture ou au sacrement de la pénitence. « Dans tout cela, vous pouvez trouver une réponse importante : la plénitude de notre existence ne dépend pas de ce que nous accumulons », a-t-il insisté, mais du fait de regarder « vers le haut ».

Léon XIV a invité les jeunes à cultiver leur amitié avec Dieu dans la prière, l’adoration, l’eucharistie, la « confession fréquente » et la « charité généreuse », donnant en exemple les bienheureux Pier Giorgio Frassati et Carlo Acutis, deux jeunes Italiens qui seront proclamés saints le 7 septembre prochain. « Aspirez à de grandes choses, à la sainteté, où que vous soyez, ne vous contentez pas de moins », leur a-t-il demandé.

Le Pape a enfin confié ce million d’âmes unies en prière « à la Vierge de l’Espérance », et a eu une pensée particulière pour les jeunes n’ayant pas pu venir à Rome pendant cette semaine. « Vous êtes le sel de la terre, la lumière du monde, portez cette salutation à tous vos amis, à tous les jeunes qui ont besoin d’un message d’espérance », leur a-t-il lancé en défi.

Léon XIII, le pape qui a fait basculer l’Église au XXe siècle

Héritant d’une Église aux prises avec de nombreuses crises, Léon XIII (1878-1903) a tenté d’y répondre dans de nombreuses encycliques, notamment Rerum Novarum, dans laquelle il pose les fondations du catholicisme social. Son très long pontificat permit à cet intellectuel d’encourager l’Église catholique à se confronter aux grands défis du XXe siècle naissant.

À la mort de Pie IX en 1878, le Saint-Siège traverse une très grave crise. Depuis 1870 et la prise de Rome par les armées italiennes, le pape est « prisonnier » au Vatican, et en conflit ouvert avec le jeune Royaume d’Italie. L’Église est sous pression en France, avec l’émergence d’une IIIe République très anticléricale, ou en Allemagne, où le chancelier Otto von Bismarck mène le « Kulturkampf » afin de soustraire l’Église locale du giron du Saint-Siège. Aux États-Unis, un courant très libéral et individualiste progresse, alors qu’en Europe le défi de la sécularisation devient de plus en plus prégnant. Pour affronter ces questions, le conclave choisit le cardinal Vincenzo Pecci, une personnalité respectée issue de la noblesse pontificale romaine, connue pour ses talents de diplomate et d’administrateur.

Un Pape face au modernisme

Celui qui prend alors le nom de Léon XIII a été archevêque de Pérouse pendant trente ans, mais a été transféré à Rome un an avant le décès de Pie IX pour devenir camerlingue, en raison d’une santé fragile. Tout le monde s’attend à un pontificat court, même l’intéressé, qui régnera finalement un quart de siècle, soit l’un des plus longs de l’histoire. Bien qu’aligné sur les positions de Pie IX concernant la question romaine – il continue de dénoncer l’usurpation menée par la couronne italienne –, Léon XIII acte avec réalisme la fin du pouvoir temporel des papes et dissout officiellement les États pontificaux en 1900. Pragmatique, il fait des gestes d’ouverture vis-à-vis des républicains en France et négocie avec Bismarck la fin du Kulturkampf. Il montre aussi de l’intérêt pour le développement de l’Église dans le « Nouveau Monde », en Amérique latine comme aux États-Unis, où il condamne l’ »américanisme ».

Très au fait des évolutions de son époque (il est un lecteur assidu de la presse et fut le premier pape à accorder un entretien), Léon XIII consacre aussi son temps à un intense travail de réflexion sur l’Église et la société. Il est l’auteur de 86 encycliques – un record. En 1902, un an avant sa mort, Léon XIII, un peu à la manière des Rétractations de saint Augustin, dresse une liste de ses neuf principales encycliques, offrant un panorama complet de son très dense pontificat, celui d’un pape intellectuel. Le philosophe Étienne Gilson le considérait même comme le « plus grand philosophe du XIXe siècle ».

Un « catholicisme de mouvement »

La première est Æterni Patris (1879), sur la « philosophie chrétienne », qui propose comme solution au modernisme une étude renouvelée de saint Thomas d’Aquin (le néo-thomisme), suivie de Libertas Praestantissimum (1888), sur la liberté de l’homme, qui condamne les excès du libéralisme. Puis est citée Arcanus Divinae Sapientiae (1880), qui explique la condamnation du divorce par l’Église, Humanum Genus (1884), qui pourfend le « relativisme » des francs-maçons, Diuturnum (1881), sur l’autorité politique, Immortale Dei (1885), sur la constitution chrétienne des États, qui critique le laïcisme, et Quod Apostolici Muneris (1878), qui condamne le socialisme. Vient ensuite l’encyclique la plus célèbre de Léon XIII, Rerum Novarum (1891), qui, pour affronter les défis de la modernité, pose les bases du catholicisme social et de ce qui sera plus tard connu comme la « doctrine sociale de l’Église ». Enfin, dans Sapientiae Christianae (1890), Léon XIII incite les catholiques à refuser d’obéir aux lois civiles lorsque celles-ci contredisent les enseignements religieux.

Si la pensée de Léon XIII a des accents antimodernes, elle promeut aussi avec pédagogie un « catholicisme de mouvement » capable de répondre aux défis des temps nouveaux. Homme d’une grande curiosité, il fut le premier pape dont la voix a été enregistrée, et le premier à être filmé. Et son important héritage spirituel et intellectuel a nourri tous les pontificats de ses successeurs, jusqu’à Léon XIV aujourd’hui

« Nous irons dans la joie vers la maison du seigneur » (Ps 121, 1)

Père Verkys

[HOMÉLIE] Prendre Dieu à témoin, le dérapage de Marthe

Le père Christian Lancrey-Javal commente l’évangile du 16e dimanche du temps ordinaire. Le baptême aide à comprendre en quoi l’évangile de Marthe et Marie figure la réalité de l’Église. Comme Marthe, ne dérapons-nous pas en prenant Dieu à témoin de nos affaires ?

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Pour un baptême d’un petit enfant, il arrive que ses parents demandent s’il est possible qu’il ait deux marraines, n’arrivant pas à choisir entre Marthe et Marie, entre l’efficacité débordante de l’une et la douceur admirative de l’autre. Je plaisante ! Il n’y a pas à choisir entre Marthe et Marie, parce qu’elles ne sont pas deux types de caractère mais deux relations à Dieu à un moment donné de notre histoire. Nous sommes tous Marthe et Marie.

Un beau signe d’égalité

Il arrive aussi que les parents viennent avec deux marraines faute d’avoir trouvé un parrain. « Où sont les hommes ? » J’ai eu aussi une maman précautionneuse qui avait pris pour sa fille deux parrains et deux marraines pour être sûre qu’au moins l’une ou l’autre tienne la route. Les épreuves de la vie lui ont donné raison, car c’est dans les épreuves que se révèlent les vrais amis. En réalité, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un parrain ET une marraine, un seul suffit, mais il est bon qu’ils soient deux pour que tout acte public soit établi en présence de deux témoins, sachant en l’occurrence qu’ils ne sont pas un couple potentiel de substitution : jusqu’au XVIIe siècle, il était interdit au parrain d’épouser la marraine.

Qu’il y ait un parrain et une marraine est un beau signe d’égalité de l’homme et de la femme, leur présence aux côtés des parents au jour de la célébration signifiant que l’enfant n’est pas baptisé dans la foi de ses parents mais dans la foi de l’Église. Ils représentent la communauté et ils proclament aux côtés et parfois à la place des parents la foi de l’Église.

Croire sur parole

Par ailleurs, leur demander de fournir un certificat de baptême est une tracasserie inutile car si on voulait s’assurer de leur catholicité, il faudrait leur demander un « billet de confession » comme cela existait jadis, ou un certificat de moralité délivré par le curé de leur paroisse comme cela se fait dans certains pays. Il y a des paroisses qui demandent un acte de naissance de l’enfant : quel manque de respect à l’égard des parents ! S’ils nous disent que c’est leur enfant, nous les croyons sur parole. S’ils nous disent que le parrain et la marraine sont baptisés, nous les croyons. Si, dans l’Église, nous ne croyons pas les gens sur parole, nous ne sommes pas dignes du Christ.

Prendre Dieu à témoin

Bien sûr qu’il y a des personnes qui cherchent à nous tromper. Comme dit saint Paul « ils mangent leur propre condamnation » (cf. 1 Co 11, 29). Justice sera faite à l’heure du Jugement. Dieu seul est Juge. C’est ce qu’oublient ceux qui le prennent à partie, qui veulent que Dieu intervienne dans nos affaires courantes, comme nous le voyons ici d’une femme aussi remarquable que Marthe qui, alors qu’elle fait une des plus belles professions de foi de l’évangile au moment de la mort de son frère Lazare (Jn 11, 27), cède à la tentation de prendre Dieu à témoin. Nous l’entendrons encore prochainement d’un homme qui apostrophe Jésus du milieu de la foule : « Dis à mon frère qu’il partage avec moi notre héritage » (Lc 12, 13). La réponse de Jésus est cinglante : « Homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour trancher vos divisions ? » 

« Seigneur, cela ne te fait rien ? » On pourrait appeler cette scène : le dérapage de Marthe. Prendre Dieu à témoin ! C’est Dieu qui prend le Ciel et la terre à témoin, au début du livre d’Isaïe : « Cieux, écoutez ; terre, prête l’oreille, car le Seigneur a parlé. J’ai fait grandir des enfants, je les ai élevés, mais ils se sont révoltés contre moi » (Is 1, 2). Dieu prendra le Ciel et la terre à témoin à l’heure du jugement : les moindres détails de notre vie seront dans la lumière, comme la façon dont nous nous serons occupés de nos filleuls de baptême. 

Autant Marthe que Marie

Marthe et Marie est une figure de l’Église. Au jour du baptême, le parrain et la marraine manifestent que l’enfant est baptisé dans la foi de l’Église et non en proportion de la foi de ses parents. Ils font bien plus que cela : ils manifestent que l’Église est autant celle de Marthe que celle de Marie. Autant celle du service que celle de la prière, le service dont l’organisation est confiée à l’apôtre Pierre que la prière dont le modèle est la Vierge Marie.

Il ne suffit pas d’être au service pour être dans la charité. Marthe en est l’exemple malgré elle, « accaparée » — le mot veut presque dire aveuglée — au point d’oublier la leçon du Christ dans le Sermon sur la montagne : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6, 4). Quand tu rends service, ne va pas t’en vanter, ni demander à Dieu que les autres fassent pareil : tu ne sais pas ce qu’il demande à chacun. La bonne part ou la meilleure part que Marie a choisie est celle de l’humilité et la discrétion. Assise aux pieds du Seigneur, elle écoutait sa parole. Sans la prière, la charité est une lampe qui finit par s’éteindre. Marthe et Marie, les deux sœurs, sont nos marraines de prière et de cœur.

[HOMÉLIE] La parabole du Bon Samaritain, histoire du salut de l’humanité

Dominicain du couvent de Bordeaux, le frère Jean-Thomas de Beauregard commente l’évangile du 15e dimanche du temps ordinaire. C’est toute l’histoire du salut de l’humanité, par le Christ et dans l’Église, qui est dépeinte par la parabole du Bon Samaritain. Aimer Dieu à travers le prochain, c’est d’abord laisser Dieu se faire proche des autres à travers soi.

D’Origène à saint Augustin, bien des Pères de l’Église ont interprété la parabole du Bon Samaritain comme une fresque symbolique retraçant toute l’histoire du salut. Un homme descend de Jérusalem à Jéricho. Les noms des deux villes sont importants : Jérusalem, dans les hauteurs, c’est la ville de la paix. Quant à Jéricho, plus bas, son nom signifie « lune », avec son cycle de naissance, de croissance, de déclin et de disparition, et son alternance de clarté et d’obscurité. Alors que tous les autres personnages de la parabole sont nommés par leur origine ou leur fonction (un prêtre, un lévite, un samaritain), l’homme qui descend de Jérusalem à Jéricho est seulement désigné comme « un homme ». 

L’homme ne peut plus se relever tout seul

L’homme représente donc Adam, et avec lui tout le genre humain. Adam jouissait d’une vie de paix et d’harmonie avec Dieu dans les hauteurs de la Jérusalem céleste, et voilà que par le péché originel il est descendu dans les profondeurs de Jéricho, soumis désormais à l’angoisse de la mort et à l’obscurité du péché, même s’il demeure capable de vie et de lumière. Et cet homme, Adam, sur le chemin, est toujours menacé par les brigands, c’est-à-dire par les assauts du démon qui peuvent le blesser ou le laisser comme mort. Par l’action du démon, Adam a été dépouillé de ses vêtements, c’est-à-dire de la robe de l’innocence dont il était revêtu avant la Chute, et il se découvre nu et vulnérable. Il est blessé, et son âme est comme morte parce que la relation avec le Père a été rompue, par sa faute. Mais il n’est pas mort. Seulement, il ne peut plus se relever tout seul.

C’est alors qu’interviennent le prêtre, puis le lévite. L’un après l’autre, le prêtre puis le lévite voient cet homme blessé et mourant sur le bord de la route, se penchent sur lui, puis passent de l’autre côté. La traduction liturgique laisse entendre que le prêtre et le lévite refusent d’agir, par indifférence ou par gêne. De fait, l’impératif de pureté rituelle interdisait aux juifs pieux d’entrer en contact avec un blessé ou un pécheur. Mais le texte grec laisse ouverte la possibilité que le prêtre et le lévite se soient vraiment arrêtés, aient esquissé quelques gestes pour soulager le blessé. Seulement, cette démarche n’est pas allée jusqu’à son terme, et finalement ils sont partis.

L’homme ne peut plus se relever tout seul

L’homme représente donc Adam, et avec lui tout le genre humain. Adam jouissait d’une vie de paix et d’harmonie avec Dieu dans les hauteurs de la Jérusalem céleste, et voilà que par le péché originel il est descendu dans les profondeurs de Jéricho, soumis désormais à l’angoisse de la mort et à l’obscurité du péché, même s’il demeure capable de vie et de lumière. Et cet homme, Adam, sur le chemin, est toujours menacé par les brigands, c’est-à-dire par les assauts du démon qui peuvent le blesser ou le laisser comme mort. Par l’action du démon, Adam a été dépouillé de ses vêtements, c’est-à-dire de la robe de l’innocence dont il était revêtu avant la Chute, et il se découvre nu et vulnérable. Il est blessé, et son âme est comme morte parce que la relation avec le Père a été rompue, par sa faute. Mais il n’est pas mort. Seulement, il ne peut plus se relever tout seul.

C’est alors qu’interviennent le prêtre, puis le lévite. L’un après l’autre, le prêtre puis le lévite voient cet homme blessé et mourant sur le bord de la route, se penchent sur lui, puis passent de l’autre côté. La traduction liturgique laisse entendre que le prêtre et le lévite refusent d’agir, par indifférence ou par gêne. De fait, l’impératif de pureté rituelle interdisait aux juifs pieux d’entrer en contact avec un blessé ou un pécheur. Mais le texte grec laisse ouverte la possibilité que le prêtre et le lévite se soient vraiment arrêtés, aient esquissé quelques gestes pour soulager le blessé. Seulement, cette démarche n’est pas allée jusqu’à son terme, et finalement ils sont partis.

Arrive le Christ lui-même

Pour les Pères de l’Église, le prêtre et le lévite représentent la Loi et les Prophètes, les sacrifices et les oracles. Ils viennent de Jérusalem, ils sont donc bien envoyés par Dieu et se penchent sur la misère de l’homme. Mais ils échouent à le sauver. Le soulagement qu’ils apportent est réel mais insuffisant. En effet, les sacrifices d’animaux et les oracles sont impuissants pour apporter un véritable salut à l’homme livré au péché et à la mort. C’est pour cela que Dieu est obligé d’envoyer un troisième personnage : le Samaritain. Et le Samaritain, évidemment, c’est le Christ lui-même !

Jésus nous prend sur Lui et nous conduit à l’auberge de l’Église, qui accueille tout le monde, qui est cet « hôpital de campagne » dont parlait le pape François, où chacun peut recevoir en abondance les sacrements qui sauvent, mais aussi toute sorte de soins.

Comment Jésus pourrait-il être représenté par un Samaritain ? C’est tout simple. D’abord, le Samaritain est juif, sans toutefois appartenir vraiment au peuple d’Israël qui le considère comme un étranger. Or Jésus lui-même est juif, par son humanité, mais il est un étranger par sa divinité et a été rejeté par ceux-là même qui étaient son peuple. De plus, « samaritain » signifie « gardien ». Et précisément, Jésus se révèle comme le « gardien d’Israël » (Ps 121), celui qui vient sauver son peuple. Enfin, le Samaritain de la parabole, comme le lévite et le prêtre, descend de Jérusalem, c’est-à-dire de Dieu, pour aller vers Jéricho, c’est-à-dire au milieu des hommes.

L’auberge de l’Église

Et Jésus, le bon Samaritain, pose une succession de gestes. D’abord, il se fait proche de l’homme blessé et il est saisi de compassion, ému aux entrailles devant la détresse de l’autre. Ensuite, il pose un pansement sur les blessures, puis verse dessus de l’huile et du vin. Enfin, il le charge sur sa monture, le conduit dans une auberge, prend soin de lui et le confie à l’aubergiste en lui laissant deux pièces d’argent pour s’en occuper. 

Traduisons : d’abord, le fait que Dieu s’incarne en Jésus-Christ consiste pour Dieu à se faire proche de tout homme, et l’Incarnation est d’abord une œuvre de miséricorde de la part de Dieu qui est ému aux entrailles devant la détresse de l’humanité livrée au péché et à la mort. Ensuite, l’œuvre du Christ en son Incarnation, de la Crèche à la Croix, puis à travers l’Église, consiste à délivrer du péché (panser les blessures), principalement par les sacrements (l’huile du baptême et de la confirmation, le vin de l’Eucharistie). Enfin, Jésus nous prend sur lui et nous conduit à l’auberge de l’Église, qui accueille tout le monde, qui est cet « hôpital de campagne » dont parlait le pape François, où chacun peut recevoir en abondance les sacrements qui sauvent, mais aussi toute sorte de soins, parce que Jésus y a laissé son image gravée qui donne accès à tous les biens du salut (les pièces d’argent laissées à l’aubergiste).

Au secours de tout homme singulier

C’est donc toute l’histoire du salut de l’humanité, par le Christ et dans l’Église, qui est dépeinte en une fresque grandiose par la parabole du Bon Samaritain. Mais il y a un danger lorsqu’on admire une fresque : c’est de rester spectateur. Or la parabole du Bon Samaritain naît d’une interrogation : « Et qui est mon prochain ? », et doit provoquer en nous une interpellation. Si Jésus est le Bon Samaritain, et que la vie chrétienne consiste à suivre Jésus, que dois-je faire ? En quelques mots, il s’agit de se faire proche de tous les hommes ! 

Attention ici à la pente moderne qui nous fait glisser vers un amour universel et abstrait de tous les hommes, un amour de loin, qui s’affiche à coups de déclarations d’intention et de grands principes humanitaires. Le cerveau d’un intellectuel peut bien prétendre aimer « les hommes » en général, mais le cœur humain n’est capable d’aimer vraiment que « cet homme-là » en particulier. Jésus nous appelle à venir concrètement au secours de tout homme rencontré, avec ses blessures et des souffrances. Il s’agit de prendre soin de lui, d’entrer en relation avec lui, et pour cela de passer du temps avec lui. 

Laisser Dieu se faire proche à travers soi

On dit parfois que la charité chrétienne consiste à aimer le prochain par amour de Dieu, et à aimer Dieu dans la personne du prochain. Il y a quelque chose de juste, et d’ailleurs Jésus a voulu s’identifier aussi à l’homme blessé à moitié mort et non pas seulement au sauveur, lorsqu’il s’est laissé crucifier. Mais en voulant aimer Dieu à travers le prochain, on risque de se servir du pauvre ou du malade comme d’un escabeau vers le Ciel. En réalité, il s’agit plutôt de laisser Dieu se faire proche des autres à travers moi. Il s’agit d’être les yeux de Jésus, les mains de Jésus, le sourire de Jésus, pour tout homme. Dieu veut se servir de moi pour atteindre certains hommes, et c’est une mission magnifique ! Et ceux que je ne pourrai pas atteindre parce que je suis limité dans le temps et dans l’espace, d’autres chrétiens les atteindront : c’est cela la communion des saints, et c’est cela l’Église ! L’Église est le corps du Christ, et par elle, Jésus veut sauver les hommes de tous les temps et de tous les lieux, non pas de loin, mais par un contact charnel, une relation d’amitié qui dure dans le temps pour s’établir dans l’éternité.

Et puisqu’il s’agit du mystère de l’Église, n’oublions pas la leçon de la parabole du Samaritain : la véritable charité, la miséricorde parfaite, ne s’achève que lorsqu’on a conduit notre prochain jusqu’aux portes de l’hôtellerie, jusqu’aux portes de l’Église. C’est là et seulement là, dans l’Église, que tout homme peut trouver le repos, le salut, et la joie.

Qui est vraiment catholique aujourd’hui ?

Pour le père Benoist de Sinety, curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille, la question n’est pas tant de savoir si tel ou tel est catholique, mais comment nous nous aidons les uns les autres pour « essayer d’être chrétien ».

Qui est vraiment catholique ? Et que veut dire une telle formule, s’interrogeait cette semaine un ami journaliste sur les réseaux sociaux. Les attaques ad hominem fusent de toute part : le ministre de l’Intérieur et sa chasse aux migrants, la présidente des Scouts et Guides de France et ses prises de positions politiques et morales, tel ou tel millionnaire, homme d’affaires de moindre notoriété mais toujours suspecté par une bande ou une autre de mal penser ou d’être en rupture avec la doxa officielle… Chacun y passe et, soyons honnêtes, fait aisément de nous un procureur impitoyable ou un avocat passionné.

Croire en Jésus Christ, se soumettre au magistère de l’Église, réciter le Credo, reconnaître légitime l’autorité de la succession apostolique : autant de critères qui ne peuvent aucunement prétendre définir à eux seuls et mêmes réunis, quelque chose de suffisant. On peut bien sûr reconnaître ce qui n’est pas conforme à l’Évangile et en déduire que, par nature, tel ou tel acte serait contraire au témoignage de la foi en Jésus Christ — qui ne s’épuise d’ailleurs pas dans la seule Église catholique — mais peut-on aller plus loin ? En ces jours où les ordinations de diacres et de prêtres viennent ensoleiller nos horizons, n’est-il pas important de chercher à comprendre ce que peut bien receler de mystérieux pour être à ce point sujet à controverse, ce terme de catholique ?

Une vocation à l’universel

Être catholique c’est d’abord reconnaître à son Église une vocation à l’universalité, à l’universel, désirer et œuvrer afin que le message dont elle est porteuse soit répandu sur toute la surface de la terre. Car c’est bien du message qu’il s’agit avant de se laisser fasciner par l’institution elle-même. Ce message, qu’on appelle la Bonne Nouvelle, est celui confié aux disciples par le Christ pour qu’ils le portent au plus lointain comme au plus proche, partout. Et chaque fois que les hérauts furent tentés d’en limiter l’accès, voire de se restreindre dans l’ambition de le proclamer plus haut, ils eurent tort, depuis le concile de Jérusalem jusqu’à nos conservatismes contemporains.

Être catholique, c’est chercher à répondre à ce commandement d’un Amour qui oblige à servir le Message confié par pure grâce, tout en acceptant sans cesse de se laisser instruire par lui.

Cette universalité n’est pas l’uniformité. Elle lui est même radicalement opposée. Même si les apparences sont trompeuses. Les grands textes qui énoncent la foi des baptisés, les credo notamment, sous un aspect juridique évident, ne cherchent ni à formater les êtres ni à définir une discipline : ils donnent des mots pour rassembler, pour mettre en communion des personnes et non pour faire ânonner un troupeau. Il est d’ailleurs remarquable que dans l’Évangile la seule décision d’organisation de la foule à laquelle Jésus se résolve, consiste à les faire asseoir par groupe de cinquante sur des prés d’herbe fraîche afin de les nourrir de pains et de poissons, fruits de sa prière, après les avoir abreuvés de sa parole.

Le désir de communion

Être catholique, c’est chercher à répondre à ce commandement d’un Amour qui oblige à servir le Message confié par pure grâce, tout en acceptant sans cesse de se laisser instruire par lui. Ce Message qui valide sa présence par le désir de communion qu’il fait germer dans le cœur de ceux qui en sont les porteurs. Il arrive parfois que nous soyons amers : l’autre nous semble tellement plus pieux, tellement plus droit, tellement plus riche de charismes divers… alors que nous sommes si médiocres.

Il arrive aussi que nous connaissions l’ivresse spirituelle de nous croire meilleur, plus juste en regardant ceux que nous considérons comme pécheurs et que nous désignons volontiers comme tels. Il y a des récits dans les quatre évangiles suffisamment clairs sur ces aveuglements mortifères pour qu’il ne soit pas utile ici de s’étendre davantage.

La vérité dans la charité

Le Message du Christ nous convoque à la vérité sur nous-mêmes et sur les autres. Mais jamais au détriment de la charité. Dire à son frère qu’il se trompe est un devoir chrétien. Lui signifier par là qu’il est méprisable, voire pire, est un péché mortel (« Quiconque a de la haine pour son frère est un meurtrier », 1 Jn 3,15). Le Message n’est pas confié à des justes mais à des pécheurs, à des bien portants mais à des malades. Croire le contraire c’est se détacher de ce qu’est le catholicisme pour en faire une secte de prétendus parfaits.

Taire, a contrario, cette vérité que le Message révèle, c’est dissimuler un trésor sans même vouloir pour soi-même en goûter vraiment les fruits. La question n’est pas tant de savoir si tel ou tel est catholique, mais comment nous nous aidons les uns les autres, en nous reprenant et en nous corrigeant avec charité et bonté, afin que nos paroles et nos actes cherchent à rendre plus visible le visage de Celui en qui nous plaçons notre foi. Sans craindre d’appeler « mal » ce qui l’est. Sans renoncer à suivre la lumière, quelle que soit la densité des ténèbres qui parfois semblent nous engloutir. Sans abdiquer cette urgence de l’amour où le Christ nous tient. En espérant enfin, au soir de notre vie, pouvoir murmurer comme dans un dernier souffle : « J’ai essayé d’être chrétien. »

Catholique et minoritaire, comment faire ?

Après avoir difficilement admis le fait d’être minoritaires, observe l’historien Paul Airiau, les catholiques français ont du mal à admettre la dimension inédite de leur situation. Ils sont minoritaires dans une société qui ne reconnaît plus sa matrice catholique.

apa quand je serai grand je sais ce que je veux faire, je veux être minoritaire. » Ainsi disait en 1982 celui qui est le plus grand philosophe/analyste/décodeur de la normalité française des années 1980-1990, Jean-Jacques Goldman. Et cela ne lui faisait « pas peur ». Les catholiques français auraient-ils alors imaginé qu’il chantait en fait ce qu’eux-mêmes visaient ?

Feu la chrétienté

En effet, ceux-ci s’étaient tranquillement installés dans une situation globalement majoritaire, voire s’en satisfaisaient, alors que se multipliaient les signes de minorisation à venir (effondrement des ordinations sacerdotales, diminution régulière de la sacramentalisation, législation de plus en plus divergente de la matrice catho-laïque). C’était, pensaient-ils, l’application éclairée du concile Vatican II, qui avait reconnu la juste autonomie des réalités terrestres (constitution conciliaire Gaudium et Spes, n. 36) et tourné le dos à l’ambition constantinienne d’établir une chrétienté, ancienne ou nouvelle. Et puis demeuraient des signes de puissance suffisante, telles les manifestations pour « l’école libre », pour ne pas avoir à penser que la situation se dégraderait rapidement — même « l’école libre » ou « l’école privée », ce n’était déjà plus « l’école catholique » —, mais il fallait bien se situer sur le terrain de l’adversaire et trouver des moyens d’élargir la mobilisation au-delà du cercle paroissial.

D’une certaine manière, s’accomplissait finalement ce qui avait été anticipé dès la fin du XIXe siècle, pensé en 1936 par Jacques Maritain dans Humanisme intégral (l’abandon d’une « chrétienté sacrale » au profit d’une « chrétienté profane ») et proclamé par Emmanuel Mounier en 1950 avec Feu la chrétienté. De son côté, le théologien suisse Hans Urs von Blathasar appelait à Raser les bastions (1952, partiellement publié en français en 1953), c’est-à-dire à renoncer à toutes les institutions d’emprise sociale constituant des blocs socio-spatiaux de chrétienté homogène où tout était et devait être catholique, du sol au plafond, du champ à l’église, de la naissance à la mort, des loisirs au travail, du jour à la nuit, et même au-delà. L’Église devait inventer de nouvelles modalités d’existence dans une société fondée sur le principe de l’autonomie et où la déchristianisation apparaissait plus intense qu’on ne le pensait, au moins était proclamée telle par les abbés Godin et Daniel en 1943 dans leur essai mobilisateur, La France, pays de mission ?

L’acceptation du fait minoritaire

Bref, les catholiques renoncèrent d’une certaine manière à l’usage des causes secondes pour s’assurer de la perpétuation de ce en quoi ils croyaient. Au nom d’une foi mieux comprise, la religion devait être plus ou moins abandonnée, purifiée de ses relents païens, tandis que les églises devaient se vider de leurs pratiquants sociologiques et renoncer au service public de la religion. Faut-il parler d’une forme de démission collective ou d’illusion collective accélérant des évolutions sociologiques un peu lourdes (urbanisation accentuée, tertiarisation, abondance consumériste, immigration, libéralisme culturel…) ? Il demeure toujours pour l’historien des aspects énigmatiques à ces basculements inattendus où l’accumulation des volontés de bien faire et de faire mieux débouche cependant dans un résultat radicalement différent de celui qui était espéré — une Nouvelle Pentecôte, un nouveau printemps pour l’Église, une civilisation de l’amour, un christianisme authentique.

Ce n’est pas la même chose que d’être une société s’arrachant volontairement de sa matrice catholique, et donc entretenant avec celle-ci un rapport structurellement critique, que d’être une société n’ayant jamais été catholique.

Le résultat est là, à la fin : en se pensant tranquillement majoritaire non dominants, et en contribuant à ce qu’il en soit ainsi, les catholiques sont devenus minoritaires et ont fini par plus ou moins l’accepter. Cela n’a pas été sans mal. Il a fallu d’abord échouer contre le PaCS (1999), écouter la désillusion du cardinal Ratzinger face à l’action politique (2002), ne pas réussir à obtenir la mention de l’héritage chrétien dans la Constitution européenne (2003-2004), perdre la bataille du « mariage pour tous » (2012-2013), et accepter les résultats des sondages scientifiques ou d’opinion et les études des sociologues et historiens (42 % de 18-24 ans baptisés, 2 % des adultes baptisés pratiquant dominicaux selon les derniers chiffres disponibles). Il a fallu aussi la fusion incessante des paroisses (en attendant celle des diocèses), la restructuration de l’administration paroissiale et l’importation de plus en plus visible de prêtres étrangers. Il a sans doute fallu aussi la honte, lorsque fut découverte la dimension systémique des agressions sexuelles cléricales.

Une situation inédite

Cette acceptation de l’absence d’aucune perspective raisonnable d’inversion de tendance avant une ou plusieurs générations suscite des stratégies de réponse variées. Créer des réserves/môles de résistance/reconquête future, au risque d’une partielle sécession sociale, comme le font déjà nombre de groupes religieux minoritaires ? Assumer la faiblesse constitutive et investir des pratiques et espaces sociaux où la présence catholique est toujours considérée comme légitime (solidarité, charité, patrimoine) ? Chercher des alliances avec des groupes socio-politiques, s’engager dans un entrisme et un travail d’influence toujours susceptibles de susciter des réactions virulentes ? S’appuyer sur ce qui demeure des institutions catholiques pour mener une offensive prosélyte tous azimuts ? Protester contre les remises en cause du catholicisme et de ce qu’il en reste pour rappeler que l’on existe ? Se lamenter, prier, expier et espérer ? Ou faire tout cela à la fois ?

Ce n’est plus une question

Si les débats relativement intenses autour de ces options font jouer des fractures complexes, ils ont aussi la particularité de rarement prendre en compte la dimension proprement inédite de la situation. En effet, être minoritaire dans la société française du XXIe siècle exculturée du catholicisme, c’est radicalement différent que d’être minoritaire dans la société romaine du IIe siècle, dans les États-Unis de 1850, dans la Chine du XXe siècle ou le Maroc contemporain. Car ce n’est pas la même chose que d’être une société s’arrachant volontairement de sa matrice catholique, et donc entretenant avec celle-ci un rapport structurellement critique, que d’être une société n’ayant jamais été catholique. Toute analogie avec une situation historique antérieure ou un état sociologique autre ne pourrait que conduire à ignorer cette spécificité contemporaine. Cet aspect avait été relativement perçu dans les années 1970-1980, puis a été oublié : le christianisme est une étrangeté dans la modernité contemporaine, quand bien même celle-ci lui doit beaucoup.

Faut-il donc vouloir être minoritaire ? À vrai dire, la question ne se pose plus, désormais. Ne demeure que celle que pose Danielo, le vieux conseiller d’Orsenna, à Aldo : « Qui vive ? »

Jean-Marie Petitclerc sur l’hyperviolence : “Chez certains ados, il y a une absence totale d’empathie”

Le père Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien et éducateur spécialisé, réagit au meurtre de Mélanie, surveillante poignardée par un élève de 14 ans à Nogent (Haute-Marne). Pour lui, les clés pour prévenir la violence résident dans l’éducation au respect et à l’empathie, et dans la nécessité de poser des sanctions dès la première dérive.

Une surveillante d’un collège de Nogent (Haute-Marne) a été mortellement poignardée mardi 10 juin par un élève de 14 ans, lors d’une fouille de cartables. Un drame qui vient s’ajouter à une série d’agressions récentes par arme blanche commises par des adolescents de plus en plus jeunes. Le père Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien de Don Bosco, côtoie depuis une cinquantaine d’années des jeunes en difficulté en tant qu’éducateur spécialisé. Il publie le 20 août prochain Combattre l’hyperviolence (DDB), un livre brûlant d’actualité dans lequel il analyse les facteurs pouvant expliquer une telle évolution et fournit des pistes pour mieux prévenir et réguler cette violence chez les adolescents.

Aleteia : Comment sommes-nous passés de la violence à l’hyperviolence ?

Jean-Marie Petitclerc : Que des adolescents se battent entre eux, que des adolescents provoquent les adultes, ce n’est pas un phénomène nouveau. En revanche, ce qui est nouveau, et qui me paraît inquiétant, c’est qu’aujourd’hui on tue pour des motifs futiles. Il y a une disproportion entre la gravité de l’acte posé et la futilité des motifs. Il y a là un véritable problème éducatif. Dans le cas de la jeune femme poignardée à Nogent, les faits se sont déroulés au moment d’un contrôle des sacs. Même la présence des gendarmes n’a pas arrêté le geste meurtrier de cet adolescent. Le problème est bien plus profond.

Parmi les réponses apportées par les politiques, ont été évoqués les fouilles des sacs, les portiques de détection d’armes, l’interdiction de la vente de couteaux aux mineurs… Est-ce que ce sont, d’après vous, de bonnes solutions ?

Comment imaginer que les lycéens fassent la queue aux portiques matin et soir ?! Et je le répète, les faits se sont passés au cours d’un contrôle, les gendarmes étaient présents, cela n’a pas empêché l’adolescent de passer à l’acte ! Et l’interdiction de la vente de couteaux à l’heure où on peut tout acheter sur le « Bon coin » n’a rien de dissuasif !

Une première sanction éducative est nécessaire afin de faire prendre conscience au jeune des effets de la transgression qu’il a commise et de lui permettre de réparer.

Que faudrait-il faire en premier lieu ?

Il y a, dans le système judiciaire actuel, une inadéquation des premières réponses : il ne s’agissait pas du premier fait de violence de ce jeune. Mais il n’y a pas eu de réponses suffisantes par rapport aux actes déjà commis à l’encontre de ses camarades. (L’adolescent avait fait l’objet de deux exclusions en début d’année scolaire, l’une pour avoir asséné des coups de poing à un camarade, et une autre pour avoir frappé un élève de 6e, N.D.L.R.) La question qui doit se poser, c’est comment répondre à la primo délinquance ? Pour tous ces jeunes coupables de faits d’hyperviolence, il ne s’agissait pas de leur premier fait ! J’ai un peu l’impression que la justice fonctionne sur le mode « la première fois ce n’est pas grave, ce qui est grave c’est de recommencer ». Or une première sanction éducative est nécessaire afin de faire prendre conscience au jeune des effets de la transgression qu’il a commise et de lui permettre de réparer. Il est urgent de réfléchir à l’importance de la première sanction par rapport à la première dérive. La sanction du premier délit fait partie de la prévention de la récidive. Je pense que c’est l’axe fort d’une politique judiciaire vis-à-vis des jeunes.

Pensez-vous à d’autres solutions pour endiguer la violence des jeunes ?

Il faut se concentrer sur l’éducation au respect, cette valeur me paraît essentielle. Or elle est bafouée, parfois même par ceux qui exercent des responsabilités politiques alors qu’ils devraient se montrer exemplaires. Il suffit de voir les séquences à l’Assemblée nationale. L’irrespect est devenu la norme. La clé réside aussi dans l’éducation à l’empathie. Il faut aider le jeune à relire les conséquences de ses actes, l’aider à se mettre dans la peau de l’autre. Quand je vois un adolescent pianoter sur son téléphone, j’aime dire : « avant d’envoyer un message, mets-toi dans la peau de celui qui va le recevoir ». Une règle d’or, citée dans la Bible, est : « ne fais pas à l’autre ce que tu n’aurais pas envie qu’il te fasse ».

Aujourd’hui, et c’est ça le drame, les progrès sont tels qu’il faut un peu de temps pour distinguer un jeu vidéo d’une scène de guerre.

Hier soir, Emmanuel Macron a tenté d’identifier des causes de l’hyperviolence et a évoqué l’explosion de la famille et les réseaux sociaux. Partagez-vous son analyse ?

C’est vrai, il faut prendre en compte des facteurs familiaux, des facteurs sociétaux. La famille est fragilisée, elle a de plus en plus de mal à transmettre des repères. Quant aux réseaux sociaux, ce qui est dramatique, ce n’est pas tant la violence que le fait que l’imaginaire a la couleur du réel. Les histoires que nos arrière-grands-mères racontaient à nos grands-pères étaient d’une violence extrême ! Mais elles commençaient par « il était une fois ». Il y avait une séparation nette entre l’imaginaire et le réel. Aujourd’hui, et c’est ça le drame, les progrès sont tels qu’il faut un peu de temps pour distinguer un jeu vidéo d’une scène de guerre. L’autre problème des écrans, c’est la violence sans souffrance. À travers les écrans, on ne voit ni la souffrance de la victime, ni celle de l’entourage de la victime. Les écrans détruisent l’empathie. Or ce qui peut limiter le déploiement de la violence, c’est bien la perception de la souffrance de l’autre. Je m’aperçois, chez certains ados, qu’il y a une annihilation de la souffrance de l’autre, une absence totale d’empathie.

Les chrétiens, en cette année jubilaire, sont invités à espérer mais comment garder l’espérance dans le monde, dans la jeunesse lorsqu’elle est si fragilisée ?

En regardant les jeunes qui vont bien et qui font des choses extraordinaires ! Je vois des jeunes ingénieurs qui travaillent sur des solutions innovantes. Un proverbe africain dit : « Une forêt qui pousse fait moins de bruit qu’un arbre qu’on abat. » Ces actes violents, certes qui se répètent, ne doivent pas masquer toute une jeunesse. Il est temps aussi que les médias puissent nous aider à ne pas désespérer en mettant l’accent sur ces belles choses que font les jeunes. Pas un mot que les 13.000 jeunes au Frat de Lourdes ! Alors que quand 500 manifestants s’agitent place de la République, toutes les chaînes sont là ! Le slogan des Salésiens, c’est de croire en la jeunesse. Et combien les jeunes ont besoin de rencontrer des adultes qui croient en eux !

Mathilde de Robien – publié le 11/06/25

À la Pentecôte, Léon XIV souhaite que l’Esprit Saint ouvre les frontières

50 jours après Pâques, 30 après son élection sur le trône de Pierre, Léon XIV a célébré la Pentecôte, l’effusion de l’Esprit sur les apôtres, sur une place Saint-Pierre couverte de dizaine de milliers de fidèles. Dans son homélie, le Pape a développé l’idée de l’Esprit qui ouvre les frontières, intérieures, dans les relations et entre les peuples. Léon XIV a souhaité qu’il abatte les murs et dissolve la haine, loin des préjugés et des logiques d’exclusion, politiques ou guerrières.

L’événement de la Pentecôte est un «un jour heureux»; les apôtres, auparavant «enfermés dans la peur et la tristesse», reçoivent «un regard nouveau» et «une intelligence du cœur». C’est en citant l’un des discours de l’évêque d’Hippone que le Pape augustin a initié son homélie. Un mois après avoir été élu sur le trône de Pierre sous le regard de la Madone de Pompéi, le 8 mai, Léon XIV célèbre son premier mois de pontificat dans l’effusion du vent puissant de l’Esprit Saint. Face à des dizaines de milliers de fidèles réunis à l’occasion du Jubilé des mouvements et associations d’Église ce dimanche à Rome, le Pape a livré une réflexion sur l’Esprit «qui ouvre les frontières», comme il avait ouvert les portes du Cénacle de Jérusalem. Une image éloquente évoquée lors de la Pentecôte il y a vingt ans, le 15 mai 2005, par l’un de ses prédécesseurs Benoît XVI, lui aussi alors à l’orée de son pontificat.

L’Esprit Saint ouvre les frontières en nous

L’Esprit ouvre des frontières avant tout intérieures. Selon Léon XIV, cette présence dissout en effet «nos duretés, nos fermetures, nos égoïsmes, les peurs qui nous bloquent, les narcissismes qui nous font tourner uniquement autour de nous-mêmes». Ainsi le Saint-Esprit vient défier en chacun «le risque d’une vie qui s’atrophie, aspirée par l’individualisme». Le Pape relie à nouveau ce mal du siècle à l’hyperconnexion contemporaine accroissant solitude et désorientation. «Il est triste de constater que dans un monde où les occasions de socialiser se multiplient, nous risquons paradoxalement d’être davantage seuls, toujours connectés mais incapables de “créer des réseaux”, toujours immergés dans la foule mais restant des voyageurs désorientés et solitaires.» Au contraire, l’Esprit de Dieu, lui, ouvre à la rencontre avec nous-mêmes au-delà des masques; «Il ouvre les frontières en nous, afin que notre vie devienne un espace accueillant», a développé le Pape, abordant ensuite l’ouverture des frontières dans les relations.

L’Esprit Saint ouvre à la joie dans les relations

L’Esprit Saint y permet là de vaincre les rigidités, de surmonter la peur de la différence et d’éduquer les passions qui s’agitent. L’Esprit transforme aussi, selon Léon, les dangers «les plus cachés» qui polluent les relations, comme lorsqu’une relation est infestée «par la volonté de dominer l’autre», s’est-il attristé, pensant «avec douleur» aux nombreux cas récents de féminicide. À l’inverse, l’Esprit Saint fait mûrir des fruits d’amour, de joie, de paix, de patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maitrise de soi. «L’Esprit élargit les frontières de nos relations avec les autres et nous ouvre à la joie de la fraternité.» Un critère décisif pour l’Église, a relevé le Pape, affirmant que «nous ne sommes vraiment l’Église du Ressuscité et les disciples de la Pentecôte que s’il n’y a ni frontières ni divisions entre nous, si, dans l’Église, nous savons dialoguer et nous accueillir mutuellement en intégrant nos différences; si, en tant qu’Église, nous devenons un espace accueillant et hospitalier pour tous».

L’Esprit Saint ouvre les frontières entre les peuples

Enfin, le Pape a médité sur l’Esprit qui ouvre également les frontières entre les peuples. «Lorsque le Souffle divin unit nos cœurs et nous fait voir dans l’autre le visage d’un frère, les différences ne deviennent plus une occasion de division et de conflit, mais un patrimoine commun dont nous pouvons tous tirer parti et qui nous met tous en chemin, ensemble, dans la fraternité», a-t-il expliqué, rappelant que «là où il y a l’amour, il n’y a pas de place pour les préjugés, pour les distances de sécurité qui nous éloignent de notre prochain, pour la logique d’exclusion que nous voyons malheureusement émerger aussi dans les nationalismes politiques».

Léon XIV de citer l’une des homélies de Pentecôte du Pape François qui regrettait l’anesthésie par l’indifférence et l’oppression par la solitude de notre monde. «Les guerres qui agitent notre planète sont un signe tragique de tout cela. Invoquons l’Esprit d’amour et de paix, afin qu’il ouvre les frontières, abatte les murs, dissolve la haine et nous aide à vivre comme des enfants du seul Père qui est aux cieux», a conclu le 266e Successeur de Pierre, demandant à ce «que le vent puissant de l’Esprit vienne sur nous et en nous, ouvre les frontières de notre cœur, nous donne la grâce de la rencontre avec Dieu, élargisse les horizons de l’amour et soutienne nos efforts pour construire un monde où règne la paix».

Delphine Allaire – Cité du Vatican