Léon XIII, le pape qui a fait basculer l’Église au XXe siècle

Héritant d’une Église aux prises avec de nombreuses crises, Léon XIII (1878-1903) a tenté d’y répondre dans de nombreuses encycliques, notamment Rerum Novarum, dans laquelle il pose les fondations du catholicisme social. Son très long pontificat permit à cet intellectuel d’encourager l’Église catholique à se confronter aux grands défis du XXe siècle naissant.

À la mort de Pie IX en 1878, le Saint-Siège traverse une très grave crise. Depuis 1870 et la prise de Rome par les armées italiennes, le pape est « prisonnier » au Vatican, et en conflit ouvert avec le jeune Royaume d’Italie. L’Église est sous pression en France, avec l’émergence d’une IIIe République très anticléricale, ou en Allemagne, où le chancelier Otto von Bismarck mène le « Kulturkampf » afin de soustraire l’Église locale du giron du Saint-Siège. Aux États-Unis, un courant très libéral et individualiste progresse, alors qu’en Europe le défi de la sécularisation devient de plus en plus prégnant. Pour affronter ces questions, le conclave choisit le cardinal Vincenzo Pecci, une personnalité respectée issue de la noblesse pontificale romaine, connue pour ses talents de diplomate et d’administrateur.

Un Pape face au modernisme

Celui qui prend alors le nom de Léon XIII a été archevêque de Pérouse pendant trente ans, mais a été transféré à Rome un an avant le décès de Pie IX pour devenir camerlingue, en raison d’une santé fragile. Tout le monde s’attend à un pontificat court, même l’intéressé, qui régnera finalement un quart de siècle, soit l’un des plus longs de l’histoire. Bien qu’aligné sur les positions de Pie IX concernant la question romaine – il continue de dénoncer l’usurpation menée par la couronne italienne –, Léon XIII acte avec réalisme la fin du pouvoir temporel des papes et dissout officiellement les États pontificaux en 1900. Pragmatique, il fait des gestes d’ouverture vis-à-vis des républicains en France et négocie avec Bismarck la fin du Kulturkampf. Il montre aussi de l’intérêt pour le développement de l’Église dans le « Nouveau Monde », en Amérique latine comme aux États-Unis, où il condamne l’ »américanisme ».

Très au fait des évolutions de son époque (il est un lecteur assidu de la presse et fut le premier pape à accorder un entretien), Léon XIII consacre aussi son temps à un intense travail de réflexion sur l’Église et la société. Il est l’auteur de 86 encycliques – un record. En 1902, un an avant sa mort, Léon XIII, un peu à la manière des Rétractations de saint Augustin, dresse une liste de ses neuf principales encycliques, offrant un panorama complet de son très dense pontificat, celui d’un pape intellectuel. Le philosophe Étienne Gilson le considérait même comme le « plus grand philosophe du XIXe siècle ».

Un « catholicisme de mouvement »

La première est Æterni Patris (1879), sur la « philosophie chrétienne », qui propose comme solution au modernisme une étude renouvelée de saint Thomas d’Aquin (le néo-thomisme), suivie de Libertas Praestantissimum (1888), sur la liberté de l’homme, qui condamne les excès du libéralisme. Puis est citée Arcanus Divinae Sapientiae (1880), qui explique la condamnation du divorce par l’Église, Humanum Genus (1884), qui pourfend le « relativisme » des francs-maçons, Diuturnum (1881), sur l’autorité politique, Immortale Dei (1885), sur la constitution chrétienne des États, qui critique le laïcisme, et Quod Apostolici Muneris (1878), qui condamne le socialisme. Vient ensuite l’encyclique la plus célèbre de Léon XIII, Rerum Novarum (1891), qui, pour affronter les défis de la modernité, pose les bases du catholicisme social et de ce qui sera plus tard connu comme la « doctrine sociale de l’Église ». Enfin, dans Sapientiae Christianae (1890), Léon XIII incite les catholiques à refuser d’obéir aux lois civiles lorsque celles-ci contredisent les enseignements religieux.

Si la pensée de Léon XIII a des accents antimodernes, elle promeut aussi avec pédagogie un « catholicisme de mouvement » capable de répondre aux défis des temps nouveaux. Homme d’une grande curiosité, il fut le premier pape dont la voix a été enregistrée, et le premier à être filmé. Et son important héritage spirituel et intellectuel a nourri tous les pontificats de ses successeurs, jusqu’à Léon XIV aujourd’hui