[HOMÉLIE] La parabole du Bon Samaritain, histoire du salut de l’humanité

Dominicain du couvent de Bordeaux, le frère Jean-Thomas de Beauregard commente l’évangile du 15e dimanche du temps ordinaire. C’est toute l’histoire du salut de l’humanité, par le Christ et dans l’Église, qui est dépeinte par la parabole du Bon Samaritain. Aimer Dieu à travers le prochain, c’est d’abord laisser Dieu se faire proche des autres à travers soi.

D’Origène à saint Augustin, bien des Pères de l’Église ont interprété la parabole du Bon Samaritain comme une fresque symbolique retraçant toute l’histoire du salut. Un homme descend de Jérusalem à Jéricho. Les noms des deux villes sont importants : Jérusalem, dans les hauteurs, c’est la ville de la paix. Quant à Jéricho, plus bas, son nom signifie « lune », avec son cycle de naissance, de croissance, de déclin et de disparition, et son alternance de clarté et d’obscurité. Alors que tous les autres personnages de la parabole sont nommés par leur origine ou leur fonction (un prêtre, un lévite, un samaritain), l’homme qui descend de Jérusalem à Jéricho est seulement désigné comme « un homme ». 

L’homme ne peut plus se relever tout seul

L’homme représente donc Adam, et avec lui tout le genre humain. Adam jouissait d’une vie de paix et d’harmonie avec Dieu dans les hauteurs de la Jérusalem céleste, et voilà que par le péché originel il est descendu dans les profondeurs de Jéricho, soumis désormais à l’angoisse de la mort et à l’obscurité du péché, même s’il demeure capable de vie et de lumière. Et cet homme, Adam, sur le chemin, est toujours menacé par les brigands, c’est-à-dire par les assauts du démon qui peuvent le blesser ou le laisser comme mort. Par l’action du démon, Adam a été dépouillé de ses vêtements, c’est-à-dire de la robe de l’innocence dont il était revêtu avant la Chute, et il se découvre nu et vulnérable. Il est blessé, et son âme est comme morte parce que la relation avec le Père a été rompue, par sa faute. Mais il n’est pas mort. Seulement, il ne peut plus se relever tout seul.

C’est alors qu’interviennent le prêtre, puis le lévite. L’un après l’autre, le prêtre puis le lévite voient cet homme blessé et mourant sur le bord de la route, se penchent sur lui, puis passent de l’autre côté. La traduction liturgique laisse entendre que le prêtre et le lévite refusent d’agir, par indifférence ou par gêne. De fait, l’impératif de pureté rituelle interdisait aux juifs pieux d’entrer en contact avec un blessé ou un pécheur. Mais le texte grec laisse ouverte la possibilité que le prêtre et le lévite se soient vraiment arrêtés, aient esquissé quelques gestes pour soulager le blessé. Seulement, cette démarche n’est pas allée jusqu’à son terme, et finalement ils sont partis.

L’homme ne peut plus se relever tout seul

L’homme représente donc Adam, et avec lui tout le genre humain. Adam jouissait d’une vie de paix et d’harmonie avec Dieu dans les hauteurs de la Jérusalem céleste, et voilà que par le péché originel il est descendu dans les profondeurs de Jéricho, soumis désormais à l’angoisse de la mort et à l’obscurité du péché, même s’il demeure capable de vie et de lumière. Et cet homme, Adam, sur le chemin, est toujours menacé par les brigands, c’est-à-dire par les assauts du démon qui peuvent le blesser ou le laisser comme mort. Par l’action du démon, Adam a été dépouillé de ses vêtements, c’est-à-dire de la robe de l’innocence dont il était revêtu avant la Chute, et il se découvre nu et vulnérable. Il est blessé, et son âme est comme morte parce que la relation avec le Père a été rompue, par sa faute. Mais il n’est pas mort. Seulement, il ne peut plus se relever tout seul.

C’est alors qu’interviennent le prêtre, puis le lévite. L’un après l’autre, le prêtre puis le lévite voient cet homme blessé et mourant sur le bord de la route, se penchent sur lui, puis passent de l’autre côté. La traduction liturgique laisse entendre que le prêtre et le lévite refusent d’agir, par indifférence ou par gêne. De fait, l’impératif de pureté rituelle interdisait aux juifs pieux d’entrer en contact avec un blessé ou un pécheur. Mais le texte grec laisse ouverte la possibilité que le prêtre et le lévite se soient vraiment arrêtés, aient esquissé quelques gestes pour soulager le blessé. Seulement, cette démarche n’est pas allée jusqu’à son terme, et finalement ils sont partis.

Arrive le Christ lui-même

Pour les Pères de l’Église, le prêtre et le lévite représentent la Loi et les Prophètes, les sacrifices et les oracles. Ils viennent de Jérusalem, ils sont donc bien envoyés par Dieu et se penchent sur la misère de l’homme. Mais ils échouent à le sauver. Le soulagement qu’ils apportent est réel mais insuffisant. En effet, les sacrifices d’animaux et les oracles sont impuissants pour apporter un véritable salut à l’homme livré au péché et à la mort. C’est pour cela que Dieu est obligé d’envoyer un troisième personnage : le Samaritain. Et le Samaritain, évidemment, c’est le Christ lui-même !

Jésus nous prend sur Lui et nous conduit à l’auberge de l’Église, qui accueille tout le monde, qui est cet « hôpital de campagne » dont parlait le pape François, où chacun peut recevoir en abondance les sacrements qui sauvent, mais aussi toute sorte de soins.

Comment Jésus pourrait-il être représenté par un Samaritain ? C’est tout simple. D’abord, le Samaritain est juif, sans toutefois appartenir vraiment au peuple d’Israël qui le considère comme un étranger. Or Jésus lui-même est juif, par son humanité, mais il est un étranger par sa divinité et a été rejeté par ceux-là même qui étaient son peuple. De plus, « samaritain » signifie « gardien ». Et précisément, Jésus se révèle comme le « gardien d’Israël » (Ps 121), celui qui vient sauver son peuple. Enfin, le Samaritain de la parabole, comme le lévite et le prêtre, descend de Jérusalem, c’est-à-dire de Dieu, pour aller vers Jéricho, c’est-à-dire au milieu des hommes.

L’auberge de l’Église

Et Jésus, le bon Samaritain, pose une succession de gestes. D’abord, il se fait proche de l’homme blessé et il est saisi de compassion, ému aux entrailles devant la détresse de l’autre. Ensuite, il pose un pansement sur les blessures, puis verse dessus de l’huile et du vin. Enfin, il le charge sur sa monture, le conduit dans une auberge, prend soin de lui et le confie à l’aubergiste en lui laissant deux pièces d’argent pour s’en occuper. 

Traduisons : d’abord, le fait que Dieu s’incarne en Jésus-Christ consiste pour Dieu à se faire proche de tout homme, et l’Incarnation est d’abord une œuvre de miséricorde de la part de Dieu qui est ému aux entrailles devant la détresse de l’humanité livrée au péché et à la mort. Ensuite, l’œuvre du Christ en son Incarnation, de la Crèche à la Croix, puis à travers l’Église, consiste à délivrer du péché (panser les blessures), principalement par les sacrements (l’huile du baptême et de la confirmation, le vin de l’Eucharistie). Enfin, Jésus nous prend sur lui et nous conduit à l’auberge de l’Église, qui accueille tout le monde, qui est cet « hôpital de campagne » dont parlait le pape François, où chacun peut recevoir en abondance les sacrements qui sauvent, mais aussi toute sorte de soins, parce que Jésus y a laissé son image gravée qui donne accès à tous les biens du salut (les pièces d’argent laissées à l’aubergiste).

Au secours de tout homme singulier

C’est donc toute l’histoire du salut de l’humanité, par le Christ et dans l’Église, qui est dépeinte en une fresque grandiose par la parabole du Bon Samaritain. Mais il y a un danger lorsqu’on admire une fresque : c’est de rester spectateur. Or la parabole du Bon Samaritain naît d’une interrogation : « Et qui est mon prochain ? », et doit provoquer en nous une interpellation. Si Jésus est le Bon Samaritain, et que la vie chrétienne consiste à suivre Jésus, que dois-je faire ? En quelques mots, il s’agit de se faire proche de tous les hommes ! 

Attention ici à la pente moderne qui nous fait glisser vers un amour universel et abstrait de tous les hommes, un amour de loin, qui s’affiche à coups de déclarations d’intention et de grands principes humanitaires. Le cerveau d’un intellectuel peut bien prétendre aimer « les hommes » en général, mais le cœur humain n’est capable d’aimer vraiment que « cet homme-là » en particulier. Jésus nous appelle à venir concrètement au secours de tout homme rencontré, avec ses blessures et des souffrances. Il s’agit de prendre soin de lui, d’entrer en relation avec lui, et pour cela de passer du temps avec lui. 

Laisser Dieu se faire proche à travers soi

On dit parfois que la charité chrétienne consiste à aimer le prochain par amour de Dieu, et à aimer Dieu dans la personne du prochain. Il y a quelque chose de juste, et d’ailleurs Jésus a voulu s’identifier aussi à l’homme blessé à moitié mort et non pas seulement au sauveur, lorsqu’il s’est laissé crucifier. Mais en voulant aimer Dieu à travers le prochain, on risque de se servir du pauvre ou du malade comme d’un escabeau vers le Ciel. En réalité, il s’agit plutôt de laisser Dieu se faire proche des autres à travers moi. Il s’agit d’être les yeux de Jésus, les mains de Jésus, le sourire de Jésus, pour tout homme. Dieu veut se servir de moi pour atteindre certains hommes, et c’est une mission magnifique ! Et ceux que je ne pourrai pas atteindre parce que je suis limité dans le temps et dans l’espace, d’autres chrétiens les atteindront : c’est cela la communion des saints, et c’est cela l’Église ! L’Église est le corps du Christ, et par elle, Jésus veut sauver les hommes de tous les temps et de tous les lieux, non pas de loin, mais par un contact charnel, une relation d’amitié qui dure dans le temps pour s’établir dans l’éternité.

Et puisqu’il s’agit du mystère de l’Église, n’oublions pas la leçon de la parabole du Samaritain : la véritable charité, la miséricorde parfaite, ne s’achève que lorsqu’on a conduit notre prochain jusqu’aux portes de l’hôtellerie, jusqu’aux portes de l’Église. C’est là et seulement là, dans l’Église, que tout homme peut trouver le repos, le salut, et la joie.