Pape François : « Devoir d’humanité »

« Qu’as-tu fait de ton frère ? » Cette lancinante question traverse l’humanité depuis l’aube des temps, depuis que Caïn le violent tua Abel le doux. Pour les uns, c’est le cri de la conscience qui ressurgit de génération en génération. Pour d’innombrables croyants, c’est aussi un appel : l’appel de Dieu dont le glaive jette à bas les murailles de l’indifférence qui emprisonne l’humanité dans les ténèbres de la barbarie.
À Marseille, le pape s’est recueilli au Mémorial pour les marins et les migrants ayant péri en mer, au moins 30 000 en dix ans ! « Qu’as-tu fait de ton frère ? », braise incandescente au cœur de la croix dressée qui se consume de souffrance au carrefour du nord et du sud, de l’opulence et de la misère, de l’oppression et de la liberté.

« Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence. Les personnes qui risquent de se noyer lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, un devoir de civilisation, » a-t-il dit devant les représentants des différentes religions ayant en partage l’héritage d’Abraham : l’hospitalité.

Le pape appelle au sursaut des consciences, à accueillir, protéger et intégrer les migrants. Cela signifie aussi une lutte contre les esclavagistes d’aujourd’hui qui les exploitent et leur font subir d’atroces violences : viols, séquestration, torture, travail forcé… Il appelle aussi à garantir le droit de rester dans son pays d’origine. Il fustige la persécution des minorités chrétiennes et demande que les chrétiens soient reconnus comme des citoyens à part entière dans leur pays.

La Méditerranée, berceau des civilisations : « Cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe, a dit le pape. Nous sommes à un carrefour de civilisation avec d’un côté la fraternité qui féconde la bonté de la communauté humaine et de l’autre l’indifférence qui ensanglante la Méditerranée. »

De l’Europe si riche peut jaillir une réponse à la hauteur des défis, une audace créatrice de fraternité. Cette responsabilité est essentielle au moment où l’on voit ressurgir des discours refusant à ceux qui cherchent asile, le droit élémentaire d’être sauvé en mer. Céder à la peur des migrants que certains attisent est pourtant le plus sûr chemin de détruire les fondements de notre civilisation fondée sur le respect de la personne.

L’humanité est menacée sur les mers mais aussi sur la terre ferme, en France : « Qui écoute le gémissement des personnes isolées qui sont parquées dans la perspective d’une mort faussement douce ? », a interpellé le pape François au sujet de l’euthanasie et du suicide assisté. Ici aussi résonne la question : Que fais-tu de ton frère arrivant au terme de sa vie ?

L’appel pressant du pape conduit à prendre conscience qu’il n’est pas d’autre chemin d’avenir que celui de la fraternité et qu’il commence par l’humble attention à l’humanité souffrante.

Éditorial de Jeanne Emmanuelle Hutin, Ouest-France, 24/09/2023