Pardonner, un long processus des victimes d’abus

Une délégation de 26 victimes, hommes et femmes, d’abus commis par des frères de la communauté Saint-Gabriel a été reçue au Vatican par la Commission pontificale pour la protection des mineurs, puis par le Pape dans l’après-midi ce mardi 28 novembre. Abusées dans les années 60 dans les instituts de Bretagne et de Loire-Atlantique, leur présence à Rome est une nouvelle étape dans leur parcours de reconstruction.

Jean Charles Putzolu – Cité du Vatican

Dans les années soixante, plusieurs dizaines d’enfants ont été abusés par des membres des Frères de Saint-Gabriel, victimes de viols ou d’attouchements dans les écoles d’Issé, Loctudy et Chavagnes-en-Paillers entre la Bretagne et la Loire-Atlantique. Certains d’entre eux ont tu ces faits pendant 50 ans, avant de rompre le silence pour enfin parler à leur entourage, leur époux ou épouse et leurs enfants. D’autres victimes, avouent-ils, n’y sont pas encore parvenues.

Jean-Pierre Fourny est l’une de ces victimes. Âgé de 67 ans, il a été victime d’abus à l’âge de 7 ans et n’a trouvé la force de raconter les «tortures» subies qu’à l’âge de 32 ans. Jean-Pierre a été victime du frère Gabriel Girard, aujourd’hui décédé, qui est l’auteur supposé d’abus sur plus d’une centaine d’enfants dans les trois écoles où il a enseigné. «La nature de ce qu’on a subi? C’est une agression, des attouchements, des viols», rapporte Jean-Pierre Fourny. Il n’y a plus de colère dans les paroles de Jean-Pierre, qui se définit comme une «ex-victime». Entendu par la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), indemnisé par la CRR, (Commission reconnaissance et réparation), il a «tourné la page».

Pour en arriver là, «un long processus» a été nécessaire. «Maintenant, on est plus plutôt proche de l’aboutissement de la reconnaissance et de la réparation», continue-t-il.

Une démarche collective

Aujourd’hui, les anciennes victimes regroupées au sein de l’association Ampaseo (association pour la mémoire et la prévention des abus sexuels dans l’Église de l’Ouest) entretiennent des relations d’amitié avec les Frères de Saint-Gabriel. Cela, grâce au travail des uns et des autres, mais également d’un ancien provincial des Frères, Claude Marsaud, «une personne très ouverte, très intelligente, qui est d’ailleurs avec nous aujourd’hui». Après une courte pause, Jean-Pierre ajoute: «Ça fait un peu drôle parce qu’en fait, aujourd’hui, on se rend compte qu’on est avec les représentants de nos anciens prédateurs, c’est quand même très fort». L’évêque de Nantes et d’autres religieux ont contribué à l’accompagnement des victimes, ainsi que les instances mises en place par la Conférence des évêques de France, mais les Frères de Saint-Gabriel sont allés plus loin, jusqu’à les impliquer dans une démarche de transformation de la communauté fermement engagée dans la lutte contre les abus afin que des actes indicibles ne se reproduisent plus. C’est Claude Marsaud, au nom des disciples de Louis Grignon de Montfort et de Gabriel Deshayes, qui le 12 mai 2022 a lu l’acte de reconnaissance: «Nous, frères de Saint-Gabriel, reconnaissons et dénonçons toutes les violences physiques, psychologiques, morales, sexuelles commises par certains de nos frères dans l’exercice de leur métier d’éducateur, d’enseignant, d’animateur, de maître spirituel». Cette reconnaissance des fautes commises a été bien accueillie par les victimes.

Le pardon

La communauté des Frères de Saint-Gabriel «n’a jamais demandé pardon, mais ils ont fait le travail» explique Jean-Pierre qui en son nom propre, poursuit: «C’est un sujet très délicat, le pardon. Mais moi, j’ai pardonné. Avant même de rencontrer les Frères de Saint-Gabriel, j’avais déjà pardonné. Vous savez pourquoi? Parce que le pardon, c’est un acte très égoïste. Quand vous pardonnez, vous vous libérez. […] Ça vous dégage, ça vous libère, mais vous n’oubliez jamais». Lorsque l’Église demande pardon, pour Jean-Pierre, «ce n’est pas un aboutissement, mais le début d’une étape. C’est comme ça que je le sens».

Au sein d’Ampaseo, les propos sont apaisés. Avec le processus de «réparation» engagé par l’Église de France, la honte a changé de camp. Les victimes ont recouvré leur dignité. Certes, les blessures existent, les séquelles aussi. Jean-Pierre Fourny évoque certaines facettes sombres de son caractère qu’il relie directement aux sévices sexuels subis: «J’avais fugué de l’école parce que je ne pouvais plus supporter. À 11 ans, j’avais l’impression de devenir fou. Vous voyez, c’est quand même grave, avec des conséquences derrière qui ont été souvent de l’énervement, des crises de nerfs».

Rester vigilant contre les abus

«Maintenant, il faut avancer», soutient Jean-Pierre Fourny, estimant que les directives concernant la lutte contre les abus peuvent être encore renforcées; point sur lequel l’association dont il est membre, Ampaseo, est en mesure d’apporter une contribution: «Ne peut-on pas apporter un peu d’eau au moulin? C’est quand même les victimes qui ont subi. Donc, il faut travailler avec les victimes et avec les associations de victimes». Il cite en exemple le travail réalisé avec la communauté des Frères de Saint-Gabriel: «C’est vrai, ils ne nous ont jamais demandé pardon. Par contre, ils ont ils ont créé une commission interne à laquelle on a participé». Aujourd’hui, Ampaseo se dit disponible pour intervenir dans les écoles et dans les séminaires afin que les jeunes en formation «prennent conscience». Il faut qu’ils ressentent «dans le fond des tripes» ce que les victimes ont vécu, explique-t-il.

La conversation s’achève sur un substantif: «survivants». C’est ainsi que le Pape François définit souvent des victimes d’abus. «C’est vrai qu’on est des survivants», affirme Jean-Pierre, «mais il n’y a pas que des survivants, il y a eu beaucoup de morts. Des gens sont morts parce qu’ils se sont suicidés».